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Soirs hypocondriaques

Soirs hypocondriaques

Parfois je prends mon front blêmi
Sous des impulsions tragiques
Quand le clavecin a frémi,

Et que les lustres léthargiques
Plaquent leurs rayons sur mon deuil
Avec les sons noirs des musiques.

Et les pleurs mal cachés dans l’œil
Je cours affolé par les chambres
Trouvant partout que triste accueil ;

Et de grands froids glacent mes membres :
Je cherche à me suicider
Par vos soirs affreux, ô Décembres !

Anges maudits, veuillez m’aider !

La Vierge noire

La Vierge noire

Elle a les yeux pareils à d’étranges flambeaux
Et ses cheveux d’or faux sur ses maigres épaules,
Dans des subtils frissons de feuillages de saules,
L’habillent comme font les cyprès des tombeaux.

Elle porte toujours ses robes par lambeaux,
Elle est noire et méchante ; or qu’on la mette aux geôles,
Qu’on la batte à jamais à grands fouets de tôles.
Gare d’elle, mortels, c’est la chair des corbeaux !

Elle m’avait souri d’une bonté profonde,
Je l’aurais crue aimable et sans souci du monde
Nous nous serions tenus, Elle et moi par les mains.

Mais, quand je lui parlai, le regard noir d’envie,
Elle me dit : tes pas ont souillé mes chemins.
Certes tu la connais, on l’appelle la Vie !

La terrasse aux spectres

La terrasse aux spectres

Alors que je revois la lugubre terrasse
Où d’un château hanté se hérissent les tours,
L’indescriptible peur des spectres d’anciens jours
Traverse tout mon être et soudain me terrasse.

C’est que mon œil aux soirs dantesquement embrasse
Quelque feu fantastique errant aux alentours
Alors que je revois la lugubre terrasse
Où d’un château hanté se hérissent les tours.

Au bruit de la fanfare une infernale race
Revient y célébrer ses posthumes amours,
Dames et cavaliers aux funèbres atours
À diurne éclipsés sans vestige de trace

Alors que je revois la lugubre terrasse.

Le spectre

Le spectre

Il s’est assis aux soirs d’hiver
En mon fauteuil de velours vert
Près de l’âtre,
Fumant dans ma pipe de plâtre,
Il s’est assis un spectre grand
Sous le lustre de fer mourant
Derrière mon funèbre écran,

Il a hanté mon noir taudis
Et ses soliloques maudits
De fantôme
L’ont empli d’étrange symptôme.
Me diras-tu ton nom navrant,
Spectre ? Réponds-moi cela franc
Derrière le funèbre écran.

Quand je lui demandai son nom
La voix grondant comme un canon
Le squelette
Crispant sa lèvre violette
Debout et pointant le cadran
Le hurla d’un cri pénétrant
Derrière mon funèbre écran.

Je suis en tes affreuses nuits,
M’a dit le Spectre des Ennuis,
Ton seul frère.
Viens contre mon sein funéraire
Que je t’y presse en conquérant.
Certes à l’heure j’y cours tyran
Derrière mon funèbre écran.

Claquant des dents, féroce et fou,
Il a détaché de son cou
Une écharpe,
De ses doigts d’os en fils de harpe,
Maigres, jaunes comme safran
L’accrochant à mon cœur son cran,
Derrière le funèbre écran.

Le chat fatal

Le chat fatal

Un soir que je fouillais maint tome
Y recherchant quelque symptôme
De morne idée, un chat fantôme
Soudain sur moi sauta,
Sauta sur moi de façon telle
Que j’eus depuis en clientèle
Des spasmes d’angoisse immortelle
Dont l’enfer me dota.

J’étais très sombre et j’étais ivre
Et je cherchais parmi ce livre
Ce qu’ici-bas parfois délivre,
De nos âcres soucis.
Il me dit lors avec emphase
Que je cherchais la vaine phrase
Que j’étais fou comme l’extase
Où je rêvais assis.

Je me levai dans mon encombre
Et j’étais ivre et j’étais sombre.
Lui vint danser au fond de l’ombre,
Je brandissais mon cœur :
Et je pleurais : démon funèbre,
Va-t-en, retourne en le ténèbre
Mais lui, par sa mode célèbre,
Faisait gros dos moqueur.

Ma jussion le fit tant rire,
Que j’en tombai pris de délire,
Et je tombai, mon cœur plein d’ire
Sur le parquet roulant.
Le chat happa sa proie alerte,
Mangea mon cœur, la gueule ouverte,
Puis s’en alla haut de ma perte
Tout joyeux miaulant.

Il est depuis son vol antique
Resté cet hôte fantastique
Que je tuerais, si la panique
Ne m’atterrait vraiment ;
Il rejoindrait mes choses mortes
Si j’en avais mains assez fortes
Ah ! mais je heurte en vain les portes
De mon massif tourment.

Pourtant, pourtant parfois je songe
Au pauvre cœur que sa dent ronge
Et rongera tant que mensonge
Engouffrera les jours,
Tant que la femme sera fausse.
Puisque ton soulier noir me chausse,
Ô Vie, ouvre-moi donc la fosse
Que j’y danse à toujours !

Cette terreur du chat me brise ;
J’aurai bientôt la tête grise
Rien qu’à songer que son poil frise,
Frise mon corps glacé.
Et plein d’une crise émouvante
Les cheveux dressés d’épouvante
Je cours ma chambre qui s’évente
Des horreurs du passé.

Mortels, âmes glabres de bêtes,
Vous les aurez aussi ces fêtes,
Vous en perdrez les cœurs, les têtes,
Quand viendra l’hôte noir
Vous griffer tous comme à moi-même
Selon qu’il fit dans la nuit blême
Où je rimai l’étrange thème
Du chat du Désespoir !

Le suicide d’Angel Valdar

Le suicide d’Angel Valdar


À Wilfrid Larose

I

Le vieil Angel Valdor épousait dans la nef,
En Avril, sa promise aux yeux noirs, au blond chef.

Le soleil harcelait de flèches empourprées
Le vitrail, ce miroir des Anges aux Vesprées.

Et, partout, l’on disait en les voyant ainsi
S’en aller triomphants, qu’ils vivraient sans souci,

Que leur maison serait comme un temple au dimanche
L’amour officiant dans sa chasuble blanche.

Le sonneur, en Avril, épousait dans la nef
Sa jeune fiancée aux yeux noirs, au blond chef.

Maints soirs

Maints soirs

Maints soirs nous errons dans le val
Que vont drapant les heures grises.
Des pleurs perlent ses yeux d’alises
Quand elle ouït les Cydalises
De ce dieu que fut de Nerval.

Ah ! voudrait-elle en long vol d’or
Les rejoindre dans des domaines
Plus vastes que les cours romaines
Où par d’éternelles semaines
La coupe de Volupté dort ;

Ou bien donc ouvrir son printemps
Aux fureurs des fatals cyclones
Qui croulent comme des colonnes
Parmi les chastes Babylones
Du cœur des Belles de vingt ans ?

Oui chère, que ton cœur est beau !
Laisses-y choir des blancs jours lestes,
Fuis la ville, ignore ses pestes.
Tu ne seras près des Célestes
Que le plus loin de son tombeau.

Qu’elle est triste...

Qu’elle est triste...

Qu’elle est triste en Octobre avec sa voix pourprée
La Vesprée !

Ses funérailles las ! enamourent les choses
Trop moroses.

En chambre rose et blanche une vierge repose
Blanche et rose.

Et le hameau se tait. Les bergers qui reviennent
Se souviennent

Dans la marche des monts parmi le ranz des sources
De ses courses

D’autrefois avec eux. Archange bucolique
Ô relique

D’enfance à jamais douce ! Un d’entre eux là ne parle.
C’est Fritz. Car le

Vieux chevrier, le roi des chèvres vagabondes
Près des ondes,

L’aima. Qu’il la déplore ! Il était son égide
Bloc rigide

Contre lequel les Temps avaient usé leur lime.
Le sublime

Vieillard pleurait sa mort comme une fleur de neige.
Un cortège

S’est formé. Deux bras lourds l’amènent en chapelle.
Une pelle

Dans le souterrain creuse un exil de la vie
Qu’ont suivie

Tous mes pas douloureux. Elle gît là en terre,
Solitaire.

Je l’entends dans mon rêve. Elle pleure en les cloches
Aux approches

Du soir. J’ai gardé d’elle un souvenir de frère,
Lutte chère

Avec l’autre d’antan. Chez moi, douleur n’est fraîche
Elle est sèche

De ce feu qui l’embrase en ses rouges fournaises
Dans les braises.

Douleur où j’ai tant soif que je boirais les mondes
Et leurs ondes.

Douleurs où je péris comme un lys sur console
Sans parole ...

Qu’elle est triste en Octobre avec sa voix pourprée
La Vesprée !

Château rural

Château rural

J’eus ce rêve. Elle a vingt ans, je n’en ai pas moins ;
Nous habiterons ces chers coins
Qu’embaumeront ses soins.

Ce sera là tout près, oui, rien qu’au bas du val ;
Nous aurons triple carnaval :
Maison, coq et cheval.

Elle a l’œil de l’azur, tout donc y sera bleu :
Pignon, chassis, seuil, porte, heu !
Dedans peut-être un peu.

Elle a cheveux très blonds, nous glanerons épis,
Soleil, printemps, beaux jours, foin, lys
Et l’amour sans dépits.

Sans doute, elle m’aura, m’ayant vu si peu gai –
Ne fût-ce que pour me narguer –
Un ange délégué !

Brusque je m’éveillai. Là-bas au jour qui gagne
Gaulois pleurait dans la campagne
Son poulailler d’Espagne !

Virgilienne

Virgilienne

Octobre étend son soir de blanc repos
Comme une ombre de mère morte.

Les chevriers du son de leurs pipeaux
Semblent railler la brise forte.

Mais l’un s’est tu. L’instrument de ses lèvres
Soudain se dégage à mes pas,

Celui-là sait mon amour pour ses chèvres
Que j’aime à causer aux soirs bas.

Je le respecte... il est vieux, c’est assez ;
Puis, c’est mon trésor bucolique.

Ce centenaire a tout peuplé de ses
Conseils mon cœur mélancolique.

Nous veillons tels très parfois à nuit brune
Aux intermèdes prompts et doux

Du pipeau qui chevrote à clair de lune
Sa vieille sérénade aux houx !

Pan moderne

Pan moderne

Pour patrimoine il a sept chèvres ;
Quand l’air de l’aube en ses poumons
Vibre, on le voit passer par monts
Comme un bon dieu la flûte aux lèvres.

Or plus droit qu’if, il a les plèvres
En lui des éternels limons ;
Son œil subjugue les démons
Et les ours le fuient comme lièvres.

Il est des chevriers l’orgueil,
Comme un vénérable chevreuil
Son front a bravé le tonnerre.

Il mourra comme il a vécu,
Probe et chaste, sans un écu.
Je bois à Fritz le centenaire !

Aubade rouge

Aubade rouge

L’aube éclabousse les monts de sang
Tout drapés de fine brume,

Et l’on entend meugler frémissant
Un bœuf au naseau qui fume.

Voici l’heure de la boucherie.
Le tenant par son licol

Les gars pour la prochaine tuerie
Ont mis le mouchoir au col.

La hache s’abat avec tel han,
Qu’ils pausent contre habitude

Procumbit bos. Tel l’éléphant
Croule en une solitude.

Le sang gicle. Il laboure des cornes
Le sol teint d’un rouge hideux

Et Phébus chante aux beuglements mornes
Du bœuf qu’on rupture à deux.

Je sais là-bas...

Je sais là-bas...

Je sais là-bas une vierge rose
Fleur du Danube aux grands yeux doux
Ô si belle qu’un bouton de rose
Dans la contrée en est jaloux.
Elle a fleuri par quelque soir pur,
En une magique harmonie
Avec son grand ciel de pâle azur :
C’est l’orgueil de la Roumanie.

Berceuse

Berceuse

Quelqu’un pleure dans le silence
Morne des nuits d’avril ;
Quelqu’un pleure la somnolence
Longue de son exil.
Quelqu’un pleure sa douleur
Et c’est mon cœur...

Le vent, le vent triste de l’automne !

Le vent, le vent triste de l’automne !

Beauté des femmes, leur faiblesse et ces mains pâles
Qui font souvent le bien, et peuvent tout le mal.
Paul VERLAINE

Avec le cri qui sort d’une gorge d’enfant,
Le vent de par les bois, funèbre et triomphant,
Le vent va, le vent court dans l’écorce qu’il fend
Mêlant son bruit lointain au bruit d’un olifant.

Puis voici qu’il s’apaise, endormant ses furies
Comme au temps où jouant dans les nuits attendrie ;
Son violon berçait nos roses rêveries
Choses qui parfumiez les ramures fleuries !

Comme lui, comme lui qui fatal s’élevant
Et gronde et rage et qui se tait aussi souvent,
Ô femme, ton amour est parallèle au Vent :

Avant de nous entrer dans l’âme, il nous effleure ;
Une fois pénétré pour nous briser, vient l’heure
Où sur l’épars débris de nos cœurs d’homme, il pleure !

À une femme détestée

À une femme détestée

Car dans ces jours de haine et ces temps de combats
Je fus de ces souffrants que leur langueur isole
Sans qu’ils aient pu trouver la Femme qui console
Et vous remplit le cœur rien qu’à parler tout bas.
Georges RODENBACH

Combien je vous déteste et combien je vous fuis :
Vous êtes pourtant belle et très noble d’allure,
Les Séraphins ont fait votre ample chevelure
Et vos regards couleur du charme brun des nuits.

Depuis que vous m’avez froissé, jamais depuis,
N’ai-je pu tempérer cette intime brûlure :
Vous m’avez fait souffrir, volage créature,
Pendant qu’en moi grondait le volcan des ennuis.

Moi, sans amour jamais qu’un amour d’Art, Madame,
Et vous, indifférente et qui n’avez pas d’âme,
Vieillissons tous les deux pour ne jamais se voir.

Je ne dois pas courber mon front devant vos charmes ;
Seulement, seulement, expliquez-moi ce soir,
Cette tristesse au cœur qui me cause des larmes.

Fragments

Fragments

I
Vision

Or, j’ai la vision d’ombres sanguinolentes
Et de chevaux fougueux piaffants,
Et c’est comme des cris de gueux, hoquets d’enfants
Râles d’expirations lentes.

D’où me viennent, dis-moi, tous les ouragans rauques,
Rages de fifre ou de tambour ?
On dirait des dragons en galopade au bourg,
Avec des casques flambant glauques...

II
La mort de la prière

Il entend lui venir, comme un divin reproche,
Sur un thème qui pleure, angéliquement doux,
Des conseils l’invitant à prier... une cloche !
Mais Arouet est là, qui lui tient les genoux.

III
Le fou

Gondolar ! Gondolar !
Tu n’es plus sur le chemin très tard.

On assassina l’pauvre idiot,
On l’écrasa sous un chariot,
Et puis l’chien après l’idiot.

On leur fit un grand, grand trou là.
Dies irae, dies illa.
À genoux devant ce trou-là !

IV
Le soir

Le soir sème l’Amour, et les Rogations
S’agenouillent avec le Songe.

V
Je plaque

Je plaque lentement les doigts de mes névroses,
Chargés des anneaux noirs de mes dégoûts mondains
Sur le sombre clavier de la vie et des choses.

VI
Je sens voler

Je sens voler en moi les oiseaux du génie
Mais j’ai tendu si mal mon piège qu’ils ont pris
Dans l’azur cérébral leurs vols blancs, bruns et gris,
Et que mon cœur brisé râle son agonie.

VII
Refoulons la sente

Refoulons la sente
Presque renaissante
À notre ombre passante.

Confabulons là
Avec tout cela
Qui fut de la villa.

Parmi les voix tues
Des vieilles statues
Ça et là abattues.

Dans le parc défunt
Où rôde un parfum
De soir blanc en soir brun...

Fra Angelico

Fra Angelico

À Madame W.Y. Hately

Le moine Angelico travaillait dès matines
Au rêve de ses jours en gloire épanoui,
Voulant peindre la Vierge et la peindre telle, oui,
Qu’elle ne fut pas aux toiles florentines.

C’est pourquoi le prieur lors des vêpres latines
L’a vu souvent rêver dans la nef, ébloui.
Le moine Angelico travaillait dès matines
Au rêve de ses jours en gloire épanoui.

Or un soir que sonnaient les cloches argentines
Dans sa cellule on vit l’artiste évanoui ;
Sous sa robe il tenait le chef-d’œuvre enfoui
Qu’un Ange déroba des célestes Sixtines

Pour son Frère toujours à l’œuvre dès matines.

Communion pascale

Communion pascale

Douceur, douceur mystique ! ô la douceur qui pleut !
Est-ce que dans nos cœurs est tombé le ciel bleu ?

Tout le ciel, ce dimanche, à la messe de Pâques,
Dissipant le brouillard des tristesses opaques ;

Plein d’Archanges, porteurs triomphaux d’encensoirs,
Porteurs d’urnes de paix, porteurs d’urnes d’espoirs ;

Aux sons du récital de Cécile la sainte,
Que l’orgue répercute en la pieuse enceinte,

Serait-ce qu’un nouvel Éden s’opère en nous,
Pendant que le Sanctus nous prosterne à genoux ?

Et pendant que nos yeux, sous les lueurs rosées,
Deviennent des miroirs d’âmes séraphisées,

Sous le matin joyeux, parmi les vitraux peints
Dont la gloire s’allie au nimbe d’or des saints ?

Douceur, d’où nous viens-tu, religieux mystère,
Extase qui nous fais étrangers à la terre ?

Ô Foi ! N’est-ce pas l’heure adorable où le Christ
Étant ressuscité, selon qu’il est écrit,

Ressuscite pour Lui nos âmes amorties
Sous les petits soleils des pascales Hosties ?

Sieste ecclésiastique

Sieste ecclésiastique

Croquis d’été

Vraiment, il a bel air sous sa neuve soutane,
Ce cher petit abbé, joufflu, rasé tout frais,
Pour qui la bonne table a d’innocents attraits...
Il en rêve au couvert de l’ombrageux platane.

Midi sonne. En plein ciel le soleil se pavane,
Et monsieur le vicaire, ô scandaleux portrait !
S’est endormi, tout rond, sur la pelouse, abstrait,
Songeant aux gros péchés de quelque courtisane.

On vient de la cuisine... et, sous le blanc rideau,
Blanche pousse Michel, Louise, le bedeau,
Et tous de s’esquiver en éclatant de rire,

Cependant que l’abbé, ne se reprochant rien,
S’étire et murmure en un céleste sourire
Que Bacchus, après tout, était un bon chrétien.

Sur un portrait du Dante

Sur un portrait du Dante

Que ton visage est triste et ton front amaigri.
Auguste BARBIER

C’est bien lui, ce visage au sourire inconnu,
Ce front noirci du hâle infernal de l’abîme,
Cet œil où nage encor la vision sublime :
Le Dante incomparable et l’Homme méconnu.

Ton âme herculéenne, on s’en est souvenu,
Loin des fourbes jaloux du sort de leur victime,
Sur les monts éternels où tu touchas la cime
A dû trouver la paix, ô Poète ingénu.

Sublime Alighieri, gardien des cimetières !
Le blason glorieux de tes œuvres altières,
Au mur des Temps flamboie ineffaçable et fier.

Et tu vivras, ô Dante, autant que Dieu lui-même,
Car les Cieux ont appris aussi bien que l’Enfer
À balbutier les chants de son divin Poème.

Vieux piano

Vieux piano

Plein de la voix mêlée autrefois à la sienne,
Et triste, un clavecin d’ébène que domine
Une coupe où se meurt, tendre, une balsamine
Pleure les doigts défunts de la musicienne.
Catulle MENDÈS

L’âme ne frémit plus chez ce vieil instrument ;
Son couvercle baissé lui donne un aspect sombre ;
Relégué du salon, il sommeille dans l’ombre
Ce misanthrope aigri de son isolement.

Je me souviens encor des nocturnes sans nombre
Que me jouait ma mère, et je songe, en pleurant,
À ces soirs d’autrefois – passés dans la pénombre,
Quand Liszt se disait triste et Beethoven mourant.

Ô vieux piano d’ébène, image de ma vie,
Comme toi du bonheur ma pauvre âme est ravie,
Il te manque une artiste, il me faut l’Idéal ;

Et pourtant là tu dors, ma seule joie au monde,
Qui donc fera renaître, ô détresse profonde,
De ton clavier funèbre un concert triomphal ?

La chanson de l’ouvrière

La chanson de l’ouvrière

À Denys Lanctôt

Les heures crèvent comme une bombe ;
À l’espoir notre jour qui tombe
Se mêle avec le confiant.

Pique aiguille ! assez piqué, piquant !
Les heurs crèvent comme une bombe

Ici-bas tout geint, casse ou pleure ;
Rien de possible ne demeure
À ce qui demeurait avant.

Pique aiguille ! assez piqué, piquant !
Ici-bas tout geint, casse ou pleure.

Je suis lasse de cette vie,
Je veux dormir, ô bonne amie,
Laisse-moi reposer, assez !

Non, pique aiguille ! assez piquant, piqué !
Je suis lasse de cette vie.

Hâve par ma forte journée,
Je blasphème ma destinée,
Feuille livide au mauvais vent ;
Un peu de sang sur mes doigts coule
L’heure râle, pleure et s’écoule.
Ah ! mon pain me rend suffocant.

N’importe, pique aiguille ! piqué, piquant
L’heure râle, pleure et s’écoule.

Pourquoi donc Dieu me rend-il malheureuse ?
Je suis très pauvre et je vis presque en gueuse.
Hélas ! la peine est un fardeau pesant.

N’importe, pique aiguille ! piqué, piquant !
Pourquoi donc Dieu me rend-il malheureuse ?

Tout dans l’abandon je le passe
Mon gagne-pain passe et repasse
Dans un seul même tournement.

N’importe, pique aiguille ! piqué, piquant !
Tout dans l’abandon je le passe.

Silvio pleure

Silvio pleure

Je ne suis qu’un être chétif :
Tout jeune, m’a laissé ma mère ;
Je vais errant et maladif
Je n’ai pas d’amis sur la Terre.

Seul soutien et seul compagnon
– Gagne-pain de mes jours très drôle –
Je n’ai qu’un pauvre violon ;
Pour gîte, l’ombrage d’un saule.

Grand comme les cieux est mon cœur ;
Et bien que mon œil soit sans flamme,
Je lis dans la vie un bonheur,
Et ce bonheur, j’en cherche l’âme.

Le soir, je veille au clair de lune
Jouant des airs tristes et vieux
Qui charment un oiseau nocturne
Ou consolent quelque amoureux.

Ainsi rêvant à l’avenir,
Je songe à mon printemps qui tombe :
Mon passé n’est qu’un souvenir,
Mais, hélas ! il sera ma tombe.

Rêve fantasque

Rêve fantasque

Les bruns chêneaux altiers traçaient dans le ciel triste,
D’un mouvement rythmique, un bien sombre contour ;
Les beaux ifs langoureux, et l’ypran qui s’attriste
Ombragaient les verts nids d’amour.

Ici, jets d’eau moirés et fontaines bizarres ;
Des Cupidons d’argent, des plants taillés en cœur,
Et tout au fond du parc, entre deux longues barres,
Un cerf bronzé d’après Bonheur.

Des cygnes blancs et noirs, aux magnifiques cols,
Folâtrent bel et bien dans l’eau et sur la mousse ;
Tout près des nymphes d’or – là-haut la lune douce !
– Vont les oiseaux en gentils vols.

Des sons lents et distincts, faibles dans les rallonges,
Harmonieusement résonnent dans l’air froid ;
L’opaline nuit marche, et d’alanguissants songes
Comme elles envahissent l’endroit.

Aux chants des violons, un écho se réveille ;
Là-bas, j’entends gémir une voix qui n’est plus ;
Mon âme, soudain triste à ce son qui l’éveille,
Se noie en un chagrin de plus.

Qu’il est doux de mourir quand notre âme s’afflige,
Quand nous pèse le temps tel qu’un cuisant remords,
– Que le désespoir ou qu’un noir penser l’exige –
Qu’il est doux de mourir alors !

Je me rappelle encor... par une nuit de mai,
Mélancoliquement tel que chantait le hâle ;
Ainsi j’écoutais bruire au-delà du remblai
Le galop d’un noir Bucéphale.

Avec ces vagues bruits fantasquement charmeurs
Rentre dans le néant le rêve romanesque ;
Et dans le parc imbu de soudaines fraîcheurs,
Mais toujours aussi pittoresque,

Seuls, les chêneaux pâlis tracent dans le ciel triste,
D’un mouvement rythmique, un moins sombre contour ;
Les ifs se balançant et l’ypran qui s’attriste
Ombragent les verts nids d’amour.

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